En octobre 2021, la presse nationale a publié une nouvelle intéressante et très importante pour la communauté des pèlerins, en lien avec l’identité des reliques de Saint Jacques, mais attention, lequel d’entre eux ? Supposément il y aurait deux “Saint Jacques” dans la Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle : Jacques de Zébédée, “le Majeur”, dont les restes reposent sous l’autel de la Cathédrale, et Jacques d’Alphée, “le Mineur”, dont les restes se trouvent dans la Chapelle des Reliques, qui contient les reliques de dizaines de saints. Ainsi, une enquête récemment publiée, commencée il y a 30 ans, soulève des doutes quant à ces reliques, en proposant que ce soient peut-être des restes confondus. Et si nous enquêtions un peu ?

Les deux “Saint Jacques”

Jacques de Zébédée, “le Majeur”, dont les restes et la présence à Saint-Jacques-de-Compostelle sont à l’origine de la naissance du Chemin de Saint-Jacques au Moyen Âge, fut l’un des 12 apôtres présents lors de la Dernière Cène avec Jésus de Nazareth et l’un de ses amis les plus proches. On le situe comme évangélisateur du nord-ouest de la péninsule Ibérique, c’est-à-dire la Galice, et l’historiographie ainsi que la tradition affirment qu’il fut martyrisé et décapité dans les années 40 après J.-C. par le roi Hérode Agrippa Ier.

Reliquaire de Santiago Alfeo

Reliquaire de Santiago Alfeo

De son côté, Jacques d’Alphée, “le Mineur” (ainsi nommé dans les textes bibliques pour le différencier du précédent), est également mort martyrisé dans les années 60 après J.-C., mais dans son cas, l’historiographie et la tradition affirment que sa mort fut causée par un traumatisme crânien, peut-être un coup violent dû à une lapidation ou à une chute depuis un lieu élevé, mais jamais par décapitation, comme dans le cas de Jacques “le Majeur”.

Les recherches

C’est en 1991 que le médecin légiste et membre de l’Institut de Médecine Légale de Galice (IMELGA) et président de l’Association Espagnole d’Anthropologie et d’Odontologie, Fernando Serrulla, reçut la mission de la part du Ministère de la Culture de la Xunta de Galicia de réaliser une étude médico-légale sur les restes de Jacques d’Alphée “le Mineur”.

Le Chapitre de la Cathédrale lui donna un court délai de 10 jours pour travailler sur ces restes, et il devait en outre le faire dans la chapelle même, sans possibilité de les emmener au laboratoire pour effectuer des tests de datation et autres. Il présenta un rapport dont les résultats furent rendus publics lors d’un congrès médical, bien qu’ils ne furent pas divulgués, et qui se concentrait exclusivement sur les restes de Jacques d’Alphée, “le Mineur”, plus précisément sur des fragments de crâne.

Intérieur du tombeau de l'Apôtre Santiago

Intérieur du tombeau de l’Apôtre Santiago

Trente ans plus tard, le médecin publie dans la revue Forensic Anthropology, éditée par l’Université de Floride (États-Unis), l’article A Forensic Anthropological Study of Human Remains Attributed to the Apostle James Alphaeus, où les restes des deux “Jacques” sont comparés. En comparant les restes avec la documentation historique, il arrive à la conclusion que les restes attribués à Jacques d’Alphée ne correspondent pas à sa manière de mourir, mais plutôt à celle de Jacques de Zébédée, l’Apôtre Patron de l’Espagne, vers qui tant de pèlerins se dirigent à Saint-Jacques-de-Compostelle.

L’hypothèse

Les restes analysés par Serrulla, attribués à Jacques d’Alphée, sont de petits fragments d’un crâne, et ils révèlent une mort par traumatismes caractéristiques d’une décapitation, qui à l’époque se pratiquait en trois coups à la tête : un pour rendre le condamné inconscient, un autre pour le tuer, et un dernier pour trancher la tête. La documentation historique parle de la mort de Jacques d’Alphée comme une lapidation ou une chute depuis un lieu élevé, mais pas d’une décapitation, ce qui fut le cas de Jacques de Zébédée.

Par conséquent, si les restes attribués à Jacques d’Alphée décrivent une mort qui ne fut pas la sienne, et qui correspond plutôt à celle de Jacques de Zébédée, il est possible qu’ils aient été “échangés” au cours de l’Histoire. Dans ce cas, il faudrait se demander à qui appartiennent les restes vénérés sous le maître-autel de la Cathédrale de Saint-Jacques, qui sont théoriquement ceux de Jacques de Zébédée.

Tombeau de l'Apôtre Santiago

Tombeau de l’Apôtre Santiago

« J’apporte vraiment des doutes, pas une certitude »

Au fil de l’Histoire, les reliques ont été transportées d’un endroit à un autre, parfois cachées et retrouvées, et peut-être qu’un peu de confusion s’est produite au cours de ces déplacements. L’enquête de Serrulla, comme il le déclare lui-même, ne cherche pas à créer de polémique mais à générer de la connaissance et des doutes raisonnables afin de faire la lumière et mettre de l’ordre dans ce chaos de reliques. Il ne s’agit pas de déterminer si c’est l’Apôtre Jacques qui est enterré sous l’autel ou si c’est le fameux hérétique Priscillien, mais d’essayer de faire la lumière sur les deux ensembles de reliques attribuées à ces deux “Jacques”, qui reposent éternellement dans deux lieux distincts au sein de la Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle.